Les fermes bio d’Emmaüs
À partir du 18/11/2020
Dans le cadre de l’opération Don Militant débutée en septembre dernier, Biocoop, via son fonds de dotation, est partenaire d’Emmaüs. Après la recyclerie, ce mouvement solidaire développe de plus en plus de projets agricoles pour créer de l’emploi, lutter contre la précarité et favoriser une alimentation saine pour les populations les plus fragiles.
par Marie-Pierre Chavel
Notre-Dame-de-l’Osier, à 50 km de Grenoble (38), a le sens de l’hospitalité. La Vierge y serait apparue il y a 350 ans, attirant religieux et pèlerins. Le petit village face au Vercors a aussi été un refuge pour des victimes de la Seconde Guerre mondiale. Et depuis l’année dernière, il abrite l’association Tero Loko. Ce chantier d’insertion accueille une douzaine d’hommes et de femmes, dont des réfugiés.
Malmenés par la vie, tous ont connu l’exclusion. Dans ce décor paisible, ils retrouvent une dignité, un avenir. Ils sont accompagnés par les cinq coresponsables du lieu, et travaillent 26 heures par semaine dans sa boulangerie et sur ses parcelles en agriculture biologique.
« Travailler en lien avec la nature, le vivant, nous fait du bien », constate Lilas en récoltant des haricots. En juin, elle était l’une des dernières arrivées dans cette exploitation agricole affiliée à… Emmaüs France, la fédération de tous les groupes Emmaüs du territoire.
Solution à l’exclusion
On connaît surtout les communautés qui récupèrent, réparent et revendent des objets. Mais l’objectif du mouvement de l’abbé Pierre est de « trouver des solutions originales pour rendre les personnes victimes de l’exclusion actrices de leur vie ». L’agriculture en est une.
« De plus en plus de structures Emmaüs se mettent au jardinage écologique ou sur des projets variés de plus grande ampleur : élevage, transformation fromagère, arboriculture, apiculture… », détaille Casilde Gratacos, de la Mission agriculture d’Emmaüs France, créée en mars 2019 pour accompagner l’évolution de tous ces projets et en développer de nouveaux. Tous suivent a minima le cahier des charges bio.
Cyril encadre le maraîchage à Tero Loko. Producteur bio dans le village, il voulait donner un sens différent à son travail. Il l’a trouvé dans ce projet dédié à l’insertion sociale et professionnelle avec un accompagnement global : emploi, logement, soutien psychologique, cours de français…
« L’accompagnement social est souvent segmenté et de fait limite l’intégration, explique Lucie Brunet, cofondatrice et encadrante technique. Tero Loko permet aux personnes accueillies de se reconstruire et de se projeter. »
Les salariés en insertion restent au moins sept mois. Ils logent chez l’habitant. Venus d’horizons divers, ils travaillent en équipe pour favoriser les échanges, touchent à tout, de la production à la commercialisation, vendent 80 paniers par semaine, livrent trois magasins Biocoop près de Grenoble, font le marché le mardi soir. Ils se construisent ainsi un réseau.
Le pouvoir d’agir
Parallèlement, ils préparent l’après, en dessinant un projet professionnel. Un ancien est déjà parti en apprentissage dans une boulangerie, d’autres souhaitent continuer en maraîchage. Ou devenir responsable d’un rayon fruits et légumes, menuisier… ou plombier comme Abdoul. Il a déjà fait un stage d’une semaine à Grenoble. Lilas envisage un emploi lié aux plantes. Marilyn monte une autoentreprise pour exercer sa passion : massages et magnétisme.
Radieuse après un an à Tero Loko, elle confie : « Avant, je rejetais la société. Ma joie de vivre était enfouie. Ici, on nous fait confiance. On nous aide, nous pousse. Il n’y a pas de compétition. Tout le monde prend soin de tout le monde. » « Notre conviction est que Tero Loko doit développer le pouvoir d’agir de chacun », dit Lucie Brunet.
D’autres projets agricoles Emmaüs ont une vocation éducative et sensibilisent à l’écologie. D’autres encore visent l’autonomie alimentaire du groupe et l’accès à une alimentation saine. Car il est rare de bien manger quand on est dans la précarité, dépendant souvent de l’aide alimentaire.
Cédric Herrou, fondateur de la première communauté agricole Emmaüs, s’en agace : « La société défiscalise les miettes qui lui restent pour nourrir ceux qu’elle exclut avec des produits proches de la date limite de consommation. C’est le serpent qui se mord la queue », explique-t-il, évoquant les grandes surfaces qui bénéficient d’une réduction d’impôts lorsqu’elles font don de leurs invendus.
Bon pour tous
À Tero Loko, on mange des légumes et du pain bio. Forcément. Mais surtout on les partage. Tous les lundis, la table est ouverte à tous, salariés, bénévoles, habitants, etc. Le chantier d’insertion s’ancre dans le territoire et le redynamise : son marché est maintenant communal et attire de nouveaux producteurs.
Un projet avec la Mairie prévoit un nouveau fournil et des logements sociaux pour les salariés en insertion et leur famille, et pour la commune. Tout le monde s’y retrouve, s’enrichit mutuellement. Même constat à Emmaüs Roya (06) : « Des bénévoles qui viennent aider se sont découverts et ont développé leur confiance en eux », rapporte Cédric Herrou.
Un modèle de société
Des belles histoires, il y en a beaucoup à raconter, comme celle de Bahabelom qui dit que l’agriculture lui fait « plaisir », un des premiers mots qu’il a appris en français. Il l’utilise souvent et avec plaisir, selon son entourage à Tero Loko.
Ou celle de ce maraîcher bio qui est passé de personne accueillie à encadrant technique dans la communauté Emmaüs à Angers (49). Mais pas d’angélisme !
« Sortir de la précarité prend du temps », rappelle Cédric Herrou. Sans doute parce que l’humain n’est pas assez souvent au centre des préoccupations, en dehors des structures solidaires et sociales qui ont beaucoup à nous apprendre, selon Marlyn, à Notre-Dame-de-l’Osier : « Tero Loko, ça pourrait être un modèle de société ou d’entreprise. »
Le don militant Biocoop
« Viens m’aider à aider », c’est avec cette phrase que l’abbé Pierre invitait à lutter contre la précarité. |
Tout Emmaüs
Pour Casilde Gratacos, « les projets agricoles permettent à Emmaüs de participer davantage à la transition écologique et de se poser des questions sur l’alimentation, les modèles de production agricole, la consommation… ». |
Retrouvez cette interview, dans le n°113 de CULTURESBIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles, ou à télécharger sur le site de Biocoop.